Artículo #132
Jean Olivet, l’enfant de Saint-Émilion
Je connais Jean Olivet, Jeannot, depuis ma plus tendre enfance. Vigneron de Saint-Émilion âgé de 97 ans, il incarne fièrement l’âme saint-émilionnaise. Il était important pour moi d’offrir un témoignage de son travail et de son importance dans le monde viticole bordelais. À ce jour, il est l’un des seuls à ne plus être classé et ce, par choix personnel. Rencontre avec l’enfant de Saint-Émilion.
Texto destacado
La vigne, il faut l’aimer. C’est comme tout finalement. Quand tu as la chance de faire un métier que tu aimes, tu le fais impeccablement bien. Ça, c’est une base. Puis il y a le respect des autres, c’est comme ça qu’on réussit dans la vie. Le labour ce n’était pas mon truc. C’était tout ce qui était à l’intérieur du vin qui m’intéressait.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire depuis quand vous êtes dans le monde du vin ?
J’officie dans le monde du vin, comme mes parents avant moi. Mon père était viticulteur d’ici, de Saint-Émilion, et ma mère venait de Dordogne, de Beynac plus précisément. Ils ont eu quatre enfants, un frère que j’ai perdu en 1941, deux sœurs et moi. Mon rêve était de devenir pilote de chasse en 1940. J’étais et je reste un fanatique d’aviation. Un jour, mon père m’a dit : « Je vais t’apprendre comment faire moi ». Il m’a alors fait piloter « Laure », le bœuf de labour de la vigne, avec l’aide de Maurice Jamet, l’employé qui travaillait avec lui. Qu’est-ce que je me suis fait réprimander ! Ce n’est pas facile de diriger ce genre d’animaux. Mes rangs étaient de travers et l’employé de mon père était assez exigeant ! À cette époque, les anciens étaient très sévères et il n’y avait pas de machine pour nous aider. Il existait trois espèces d’animaux pour labourer : le bœuf, la mule et le cheval. Moi, j’ai essayé avec les trois. Manier la charrue ce n’était pas une mince affaire ! Tu parles, moi je sortais du latin, du grec et de l’anglais. J’avais fait mes études chez les Jésuites à Sarlat (en Dordogne), et bien évidemment, on ne m’avait pas appris à labourer la terre. Je suis revenu sur l’exploitation après mon année de seconde à Libourne, car ma famille mourait de faim et qu’ils avaient besoin de bras. Heureusement, avec la pratique, j’ai réussi à rectifier le tir et mes rangs sont devenus de plus en plus droits. Il fallait passer quatre fois dans les rangs de vignes pour bien labourer, alors que maintenant avec le tracteur en une fois c’est fait. Avant le départ de Maurice Jamet, je suis allé lui rendre visite à Lesparre et l’ait remercié pour ces « réprimandes », car c’est grâce à lui que j’ai progressé. Il est resté une quinzaine d’années à la maison. En 1944, j’ai engagé quelqu’un d’autre et on a cohabité pendant 35 ans, il s’appelait Marius. Il était jardinier de métier.
Le vin, tous les trois mois, il fallait le changer de barrique, puis mécher celle-ci (y mettre du soufre pour que le vin se tienne). C’est ce que je reproche maintenant aux jeunes, ils veulent une nouvelle ambiance, ne veulent plus de soufre dans le vin. Malheureusement, ce sont des vins qui tiendront dix ans maximum. Avant pour les labours, on utilisait le cuivre comme désinfectant et la chaux comme adhérent. Actuellement, ils font des produits de synthèse et ils passent dix ou quinze fois dans les rangs de vignes alors qu’il nous suffisait de passer trois ou quatre fois.
J’ai donc pris goût au vin. Finalement, le vin c’est facile, mais quand on le sait bien. Et, il y a certaines contraintes. À l’époque, on vendangeait tout à la main. Ils le font encore ici d’ailleurs. Autrefois, on ramassait les fruits un par un et on était deux par rangs, un à droite et un à gauche. On mettait tout dans des paniers en bois, et on avait un vide panier qui accumulait les graines dans les « basses » (appareil où on verse les raisins) avec des anneaux.
On avait une équipe de vendangeurs qui venait de Saint-Cyprien. Il finissait la saison du tabac et venait chez moi vendanger. Ils étaient une quinzaine. On venait les chercher à l’entrée de Saint-Émilion en charrette, beaucoup venaient avec des instruments, des accordéons. Je peux te dire que tout le monde savait que « Olivet passait par là ».
Mon père était le plus moderne de la région. Il avait acheté une machine, une fouleuse-dérapeuse, qui foulait le raisin et enlevait la rafle. Ensuite, on mettait le raisin dans des cuves en bois, qu’on avait nettoyées trois semaines avant en les faisant tremper pour enlever les éventuelles moisissures.
Ensuite, il fallait piler le raisin. Alors on se mettait en short, on montait dans les cuves et on écrasait le raisin matin et soir pour que le vin ne s’altère pas. On avait une barre, chacun d’un côté, et on tournait. On avait les jambes violettes pendant bien un mois, c’était marrant.
On sortait le vin de la cuve, une fois que la première fermentation avait eu lieu. La deuxième fermentation, qu’on appelle fermentation malolactique, on ne pensait pas qu’elle existait. Je disais « Papa regarde ! Ça bout. » Phrase à laquelle il répondait : « C’est le printemps qui arrive, c’est normal ». D’ailleurs, tout le monde disait la même chose.
En tout cas, tu ne peux pas imaginer le bonheur de produire un bon millésime. Tu peux être satisfait de ton travail.
Est-ce que vous trouvez que la viticulture a perdu de son essence ?
Oui je trouve qu’elle a perdu sa base, mais bon tu sais il faut vivre avec son temps. Maintenant, tout est automatisé. Les cuves se chauffent seules en appuyant seulement sur un bouton.
Tous les trente ans, il y a un revirement tu le verras. Un revirement à tout point de vue.
Comment percevez-vous l’évolution de Saint-Émilion depuis vos débuts ?
Pour moi, c’est un peu le drame, parce que depuis une quinzaine d’années, ce ne sont que des sociétés ou des banques qui rachètent les propriétés. C’est La Mondiale (AG2R-La Mondiale, groupe mutualiste d’assurance) qui a commencé à acheter un château puis deux jusqu’à atteindre à six propriétés. Ils sont présents sur Saint-Émilion depuis les années 90. Ce qui m’inquiète surtout, c’est les prix. On ne voit plus ce que l’on voyait à Saint-Émilion, ce n’est plus comme autrefois. On se croirait à Lourdes. Tous les vingt mètres tu as un marchand de vin, et tu trouves tous les vins du monde entier, ou presque. C’est ce que je disais au maire de Saint-Émilion, on perd un peu cette notion de patrimoine, de tradition que l’on avait autrefois. C’est une réelle perte du patrimoine, une perte de la ville elle-même. Avant, on était dans une bulle, il n’y avait pas de voiture, de transports. On recevait à peine le journal. On savait tout ce qui se passait dans le village. Une solidarité interne s’était développée. Quand tu avais besoin de quelque chose ou d’un service quelqu’un te venait en aide. J’avais un brabant de labour à l’époque, il a fait le tour du village.
Alors que maintenant, je ne reconnais plus personne. À la messe le dimanche, si j’en reconnais 4 ou 5, c’est un miracle.
Le drame, ce sont les droits de succession. Les familles qui ont une propriété et qui ont des enfants, ne peuvent même pas se les permettre. Ils reviennent extrêmement chers. Pour te donner un ordre d’idée, l’hectare est estimé à cinq millions d’euros, ce n’est pas normal, ça ne vaut pas ça.
On aurait pu avoir de grands changements à Saint-Émilion. Heureusement des personnes comme l’Abbé Bergey lors de la Seconde Guerre mondiale ont réussi à préserver cette essence. Un orateur hors pair par ailleurs. J’étais enfant de chœur sous ses ordres de mes cinq ans jusqu’à mes onze ans. Les résistants l’ont traité de collabo. Au début il était pour le régime de Vichy, mais il s’en est vite écarté. Il a été incarcéré au fort du Ha à Bordeaux, il était avec Marquais, avec les communistes et tout… Ils l’ont libéré au bout de trois mois. Il en a vu là -bas… Je me rappelle quand il est revenu, il est monté en chair et nous a dit : « laissez-moi vous regarder ».
On a vu aussi du changement à Saint-Émilion lorsque le village a été classé Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1999. C’est à partir de ce moment-là qu’on a vu arriver les cars pleins de touristes et les voitures venant de Bordeaux et d’ailleurs. On a commencé à entendre parler anglais, allemand, espagnol… En ce moment, on voit beaucoup de touristes asiatiques.
Pourquoi ne plus faire partie des grands crus classés ?
En 1955, on a vu le premier classement des vins de Saint-Émilion à la suite d'une décision prise en 1954 par le syndicat viticole des vins de Saint-Émilion. Évidemment, tout le monde y a adhéré. C’est pour ça que l’on a commencé à avoir des contraintes.
En 1970, j’ai décidé de me déclasser avec un camarade, Jacques Darribehaude. On était deux à le faire, car avec tout ça, on était obligés de vendre la bouteille à un certain prix. Plus tu es classé, plus la bouteille vaut cher. Alors moi, je me suis dit que je ne voulais pas me casser les pieds.
D’abord, le syndicat des vins de Saint-Émilion est venu me voir, me disant que j’étais fou de faire ça, puis j’ai eu droit à la visite des Douanes de Bordeaux « M. Olivet, pourquoi vous vous déclassez ? » Ma raison est bien simple à expliquer : je souhaite que mes copains puissent boire une bouteille de vin tous les dimanches. Tous mes clients sont devenus des amis. J’ai une famille qui habite du côté de Blaye qui vient me voir depuis quatre générations : arrière-grand-père, grand-père, fils et petit-fils.
Autrefois, il suffisait de passer par des courtiers qui présentaient le vin à des négociants. Maintenant, quand on est classé on doit passer par des dégustations à l’Institut National des Appellations d’Origine pour voir si c’est grand cru, grand cru classé ou premier grand cru classé. C’est aussi pour ça que j’ai décidé de me déclasser. Moi je voulais de la simplicité, et je la veux toujours d’ailleurs.
Que pensez-vous des nouvelles méthodes de viticulture ?
Je trouve qu’actuellement on veut faire du vin trop vite. On est trop dans la production de vin, alors que la base ce qui importe c’est la taille, et suivant comment tu tailles ta vigne, tu as un bon rendement ou non. Alors évidemment il y a des cas exceptionnels où il n’y a pas du tout de rendement comme les périodes de gel ou quand il grêle. Mais en règle générale, une vigne c’est comme un enfant. À un enfant de cinq ans, tu ne vas pas lui faire porter un poids qu’il ne pourra pas supporter ou qui va le courber. Eh bien, c’est pareil pour la vigne : au début il faut la ménager, surtout quand elle est jeune. Les vignes actuelles ne tiendront pas quarante ou cinquante ans comme avant. J’ai des vignes, par exemple, qui ont 71 ans. Je bichonne mes ceps, je les connais par cœur.
Êtes-vous fier de votre parcours ?
Oui, je suis très fier de mon parcours. J’ai réussi ce que je voulais faire, à part être pilote de chasse, évidemment. J’avais un bien de famille à conserver. La famille Olivet est là depuis 1660. Je pense que j’ai réussi à conserver le patrimoine familial. Pourtant, j’en ai eu des propositions de rachat. J’ai toujours dit non. Je ne me suis jamais démonté.
L’étiquette de la propriété a toujours été la même, je n’ai jamais souhaité la changer. Je la tiens de mes parents. Tu verras, il me reste des bouteilles des années 90 et c’est la même étiquette.
Et puis tu sais, je suis bien ici, j’ai un sacré cadre de vie. Tu ne peux pas t’imaginer le soir le calme qui règne quand je vais dans mon jardin.
Oui, je peux dire que je suis fier.