Artículo #111
« Vigneronne » de Laure Gasparotto, et le vin comme une aide à l’enracinement
Publié le 7 avril 2021, « Vigneronne » , de Laure Gasparotto, raconte l’histoire de l’accomplissement d’un rêve. Celui de devenir la propriétaire de son propre vignoble, et ainsi, de devenir vigneronne. Cet objectif, Laure l’a atteint et le narre dans un récit autobiographique touchant, inspirant qui nous fait voyager entre Paris et les Terrasses du Larzac.
Texto destacado
« Je suis aussi une vraie passionnée de géologie, ce qui m’a mené à écrire « l’Atlas des vins de France » , reconnu par l’Institut national des appellations d’origine. Voilà c’est l’histoire, la géologie, l’appropriation du pays d’accueil de mes grands-parents »
- Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment vous êtes devenue historienne du vin ?
Je m’appelle Laure Gasparotto, je suis historienne à la base et je proviens de deux familles qui n’étaient pas françaises à l’origine. La famille de ma mère est pied-noir et est arrivée en France dans les années 60. La famille de mon père est italienne d’origine vénitienne et s’est installée en 1949 à Fronton vers Toulouse.
Quand je réfléchis rétrospectivement à toute cette aventure et à comment je me suis rapprochée du vin, je me rends compte qu’en tant qu’enfant d’immigrés, posséder l’Histoire française, était pour moi une manière de devenir Française, de m’approprier le pays que mes parents et grands-parents avaient choisi. Lors de mon doctorat, j’ai effectué mes premières vendanges en Bourgogne et c’est ainsi que j’ai découvert le vin. Quand je suis revenue à la Sorbonne, mon maître m’a demandé de me spécialiser. Mon choix s’est porté sur la Bourgogne.
J’ai découvert qu’au Moyen-Âge, la Bourgogne était plus importante que le Royaume de France, et que son duc était plus puissant et plus riche que le roi de France. Mes études m’ont ramenée en Bourgogne et j’ai découvert sa culture. Je me suis aperçue que le nom de famille des personnes que je rencontrais était le même que celui des familles que j’avais étudiées. J’en ai conclu que « ces personnes étaient en train de perpétuer des gestes ancestraux ».
C’est l’aspect sociologique du métier qui m’a passionnée. C’est cette proximité d’une éternité humaine qui m’a rapprochée des vignerons. Vous n’imaginez pas à quel point les années 90 étaient proches du Moyen-Âge, des procédés médiévaux au niveau du vin, surtout en Bourgogne. Il y avait quelque chose d’assez brutal entre la matière et le corps humain dans l’élaboration du vin. Actuellement, évidemment, l’œnologie et la qualité du vin ont énormément progressé, mais cela nous a éloignés de l’histoire du vin.
Je suis aussi une vraie passionnée de géologie, ce qui m’a mené à écrire « l’Atlas des vins de France », reconnu par l’Institut national des appellations d’origine. Voilà c’est l’histoire, la géologie, l’appropriation du pays d’accueil de mes grands-parents.
Pour des gens déracinés, comme nous pouvons l’être, le vin nous propose un rêve d’enracinement à tout point de vue. C’est aussi pour cela que j’ai coécrit « Le jour où il n’y aura plus de vin » avec Lilian Bérillon, qui est pépiniériste. Quand je l’ai rencontré, il venait faire un audit de mes vignes, et j’ai été stupéfaite. Je lui ai dit : « Tu es tout le contraire de moi. Tu es quelqu’un d’enraciné ». C‘est pour cela que j’ai voulu écrire ce livre avec lui.
- Parlons à présent de votre livre. Est-ce que l’écriture de « Vigneronne » a été une évidence dès le début ? Vouliez-vous raconter cette expérience ou seulement écrire un journal de bord personnel ?
C’est une excellente question. Quand j’ai acheté ces vignes, j’étais déjà éditée chez Grasset et que je connaissais mon éditeur, Christophe Bataille, depuis une douzaine d’années. J’ai eu de la chance : mon éditeur a compris qu’il fallait m’encourager à aller encore plus loin dans qui j’étais. Lors de l’achat du vignoble, j’ai déjeuné avec lui et il m’a demandé d’écrire un livre sur cette aventure, car « moi qui suis Parisien, je trouve ça extraordinaire ». Je lui racontais au quotidien mon expérience lorsque je revenais de mes vignes, je le faisais rêver, finalement. Il m’a donc fait signer un contrat directement pour raconter mon histoire de vigneronne. C’est grâce à lui que j’ai tenu mon journal, un journal dont j’ai eu besoin dans ma solitude. D’ailleurs, heureusement que j’ai tout jeté sur le papier, parce qu’il y a des détails que j’oublie parfois. Tout ça pour vous dire que ce journal, je l’ai tenu depuis le début.
Tout au long de cette aventure, j’ai fait patienter mon éditeur avec deux livres. Ce sont deux livres qui m’ont aidé dans mon processus, car ils m’ont aidé à comprendre, à apprivoiser la région où j’avais choisi de m’installer.
Lorsque j’ai compris que l’aventure s’arrêtait pour moi au bout de quatre années, c’est là que j’ai su que je pouvais écrire le livre. Ça m’a aidé à tourner la page. Je l’ai aussi écrit pour mes amis qui ne comprenaient pas pourquoi je vendais. Lorsqu’ils l’ont lu, ils m’ont remercié et se sont rendu compte, avec le recul, qu’ils n’avaient rien compris à ce que je vivais.
On peut dire que c’est un livre sur l’amitié ?
Oui, effectivement ! Ce qui me fait rêver dans le monde du vin, c’est la solidarité des vignerons, de ce peuple qu’un lien invisible unit. J’étais un peu envieuse de cette connexion qui liait ces gens. Pénétrer ce cercle était aussi ce qui me fascinait. Faire partie d’eux était quelque chose d’important à mes yeux.
Lorsqu’un Antoine Arena, vigneron corse, nous appelle pour nous remercier au nom de tout le peuple vigneron d’avoir réussi à mettre des mots sur leurs souffrances, sur les choses que l’on n’ose pas dire, on sent que l’on a réussi notre mission. Je contribue à perpétuer ce rêve sur le monde du vin, mais il faut aussi prendre conscience que c’est un métier dur, qui nous met face à nous-mêmes tout le temps. C’est pour cela qu’à la fin du livre, je dis pourquoi je comprends l’expression « In vino veritas ». C’est un miroir à tous nos défauts, à tout ce qu’on n’arrive pas à être.
- Même si à la fin de votre récit vous expliquez que vous êtes heureuse d’en être sortie, est-ce que vous regrettez votre bulle libératrice ? Est-ce que vous avez des nouvelles du Chemin (le nouveau nom du vignoble) et des personnes qui ont repris l’exploitation ? Comment ont-ils vécu les dernières périodes de gel ?
Oui, je suis encore leur parcours. C’est marrant parce qu’au début je ne les connaissais pas. J’y suis allée il y a 3 semaines, ils étaient désemparés, car ils venaient de perdre 80 % de leur récolte 2021. Ce gel est violent pour les vignerons. J’ai d’ailleurs eu de la chance de ne pas le vivre. Même si quand je suis arrivée en 2014, j’avais perdu 1/5 de ma récolte à cause d’une drosophile. J’espère qu’ils vont tenir. Ils en sont à leur 3ème millésime. Je les suis de près, je les soutiens comme je peux. La semaine prochaine justement, je vais signer mon livre dans la région et la personne qui va m’accueillir pour la signature, m’a demandé si ça ne posait pas de problèmes que mes successeurs viennent faire une dégustation.
Au début, les repreneurs se disaient « Il y a un loup pourquoi elle est si gentille avec nous ? ». Je me dis simplement que s’ils réussissent, je n’y serai pas pour rien non plus. C’est une transmission finalement.
- Quelles ont été les retombées de ce livre 2 mois après sa sortie et les retours de lecteurs ?
C’est incroyable ce qui se passe avec ce livre. J’ai eu plus de 250 messages de toutes sortes, des messages incroyables, très émouvants. Je pense que celui qui m’a le plus touché est le message d’une femme qui travaille dans la production de bière et qui est passée par le même processus que moi. J’ai réussi à la libérer de « souffrances dont elle avait honte ».
J’ai eu aussi des messages de vignerons de Bourgogne du Sud, dont l’appellation est plus sous-estimée que les appellations réputées, qui se sont battus toute leur vie et qui y ont trouvé une espèce de bien-être, un soulagement. Le mot thérapie, d’ailleurs revient quelques fois dans les lectures. J’ai même eu des témoignages de femmes qui n’avaient rien à voir avec la production, parce que ce livre est aussi une remise en question de la vie.
- Maintenant que vous avez réalisé votre rêve, est-ce que vous avez d’autres objectifs ?
Mon objectif est de ne pas avoir de projets. Je suis une femme qui ne peut pas ne pas avoir de projets, et c’est terrible parce que je ne sais pas où ils vont m’amener. Pour l’instant je travaille beaucoup pour mon journal (le Monde) et j’en suis ravie parce que toute cette aventure m’a permis de savoir qui je suis. Comme je ne suis pas quelqu’un de la campagne et de la ruralité, mais que je la comprends, je suis faite pour essayer de transporter les messages de la campagne vers la ville. Je travaille beaucoup pour ça. J’essaye vraiment d’être sur le terrain pour comprendre les messages des vignerons, pour qu’ils puissent se faire connaître, car ils ne maîtrisent pas nécessairement la communication. Je souhaite mettre en valeur des gens qui le méritent.
- Quels conseils donneriez-vous à des jeunes qui souhaitent se lancer dans la reprise d’un vignoble ou dans le monde du vin ?
Interroger les gens qui ont de l’expérience, c’est très important pour comprendre les enjeux et comment ça fonctionne. Avec 4 ou 5 témoignages on se fait sa propre vision, son idée du métier qui n’est pas trop loin de la vérité. Il y a beaucoup de jeunes malheureusement qui se coupent de cette expérience alors qu’elle pourrait leur servir ou du moins nourrir une réflexion. Il faut être curieux pour comprendre ce que chacun de nous a à faire dans ce monde.
Ce qui est génial dans le monde du vin, c’est que chacun a quelque chose à révéler, à refléter. Le monde du vin est un vrai miroir de soi-même et de tous. Chacun peut se refléter dans ce miroir et se voir, et enfin rapporter quelque chose à la construction de l’ensemble. Il est très important de ne pas avoir peur de sa propre richesse et de sa propre culture.